La beauté est pour moi quelque chose qui tient de l’acte de création, c’est une notion qui est en lien avec une idée de la Vérité. Mais elle n’est certainement pas un énième appel au conformisme, à une dictature du bon goût acceptable par tous, indolore et faussement rassurant. Ceci est une violence dont je me suis libéré. Alors je suis attiré par ce qui sort de l’ordinaire, par ce qui nécessite une réflexion avant de porter un jugement. La bûche « Bonhomme des Neiges » par Cédric Grolet, avec son corps difforme, a suscité de fortes réactions. Le processus mental qui a motivé ces réactions nous est-il étranger, et faut-il s’en prémunir ? N’est-il pas justement ce qui nous emprisonne ? Je veux plutôt me pencher sur cette création et comprendre ce qu’elle nous dit vraiment.
Cette pâtisserie est une bûche créée pour Noël, composée d’une guimauve à la noix de coco, d’une ganache coco, d’un cœur coulant à la mangue et au gingembre, d’une dacquoise coco et d’un croustillant coco. Le spécimen acheté mesure 250 mm de longueur, 100 mm de largeur et 42 à 62 mm d’épaisseur selon les endroits (la tête étant la partie la plus volumineuse). Il pèse 713 grammes et coûte 95,00€.
Je commence par observer ce gâteau attentivement, tant l’aspect visuel est un élément important des créations de Cédric Grolet. Premièrement, je remarque le bout de carotte proéminent dans la tête du bonhomme. Bien moins grâcieuse que sur les photos de lancement, cette carotte est relativement massive et poilue de petites racines à son extrémité. Une toute fine aurait été mieux proportionnée. Cela dit, j’apprécie cette idée enfantine d’avoir mis une carotte pour former le nez, elle comporte quelque chose d’absolu tellement elle est archétypale. Je l’apprécie d’autant plus que les yeux du bonhomme de neige ne sont pas marqués, peut-être dans un dernier acte de renoncement à une supposée perfection, ce qui me paraît comme une nouveauté dans la démarche du chef pâtissier. Cela permet aussi de garder une justesse et un certain chic : nous ne sombrons pas tout à fait dans la naïveté d’une bûche enfantine, mais elle est néanmoins évoquée.
Encore par rapport aux photos de lancement, je me rends compte que la « neige » sur la surface me semble maintenant bien plus modelée pour donner la forme de bras et de jambes, ainsi qu’une tête en forme de fleur. Elle ne déborde pas non plus en coulures sur le contour de la bûche, comme je m’y attendais. Pour ma part, cela est une petite déception, car c’est comme si le chef pâtissier avait cédé aux critiques et abandonné son intention première. Je trouvais pourtant un intérêt à la difformité du concept initial, à cette idée de neige qui coule, à cet aspect étonnant et inattendu. C’était une forme d’expressionnisme pâtissier tout à fait détonante.
À la dégustation, je commence par la guimauve à la noix de coco. Déposée à la surface de la bûche, elle est d’une légèreté manifeste, comme une mousse très aérée et foisonnée. Visuellement, elle donne effectivement un aspect qui se rapproche de la neige, même si elle présente quelques marques de manipulation dont on se passerait. Sa saveur est facilement reconnaissable, tout comme la saveur de la ganache coco sous-jacente. Dense et fondante, cette ganache me semble très peu sucrée. Sa saveur me fait penser à celle de la pulpe de coco fraîche, que l’on râcle avec une cuillère dans la noix après en avoir bu le jus avec une paille.
Le cœur coulant du dessert se compose de cubes de mangue dans leur sauce. Au niveau de la texture, il est coulant après quelques secondes et pas immédiatement à la découpe, ce qui permet de servir proprement et de ne pas trop déstructurer la composition. La viscosité me paraît ainsi bien réglée. Quant aux fruits eux-mêmes, malheureusement je les trouve craquants et j’aurais aimé qu’ils soient plus mûrs. Leur saveur n’est également pas très forte, bien que reconnaissable. On sent le gingembre qui a été ajouté de façon inégale selon les bouchées.
Ce qui me semble manquer c’est un parfum de mangue plus fort, relevé par un peu de citron vert peut-être. Le citron a pu être abandonné au profit du gingembre, mais il me semble que l’option d’avoir un peu plus d’acidité aurait dynamisé l’ensemble qui est par ailleurs enveloppé de toute part dans la douceur de la noix de coco.
Sous le cœur coulant se trouve une dacquoise coco qui me surprend par sa texture. On pourrait s’y méprendre et penser que c’est juste de la noix de coco râpée car elle se délite très facilement et possède une très fine épaisseur. Je peux pratiquement l’étaler comme une pommade. Certes la saveur est forte, mais j’aurais bien voulu un peu de moelleux à ce niveau, ou en tout cas une meilleure tenue à l’humidité environnante.
À la base de la bûche, le croustillant coco me fait penser à un praliné. Sa saveur est très agréablement agrémentée d’une pointe de sel que l’on peut facilement ressentir. L’épaisseur de cette couche est assez inégale, étant à mon sens disproportionnée au niveau de la tête et bien plus modérée au niveau des pieds du bonhomme. Quant à la texture, ce croustillant s’effrite instantanément en bouche, et il est un peu plus solide que la dacquoise qui le surplombe. Néanmoins il manque peut-être quelque chose d’un peu plus craquant à la base de cette composition. Cela plaira toutefois à ceux qui recherchent quelque chose de très léger en bouche.
VERDICT
Je considère que les créations de Cédric Grolet s’inscrivent dans la logique du luxe. Sur ce créneau il est parfois plus important de surprendre, plutôt que de simplement plaire de façon anodine à une clientèle qui a déjà tout vu. En ce sens, Cédric Grolet apporte quelque chose d’indéniablement unique, et effectivement le Bonhomme des Neiges surprend, à plusieurs niveaux. D’abord par son visuel à contre-courant, bien qu’apparemment il ait été rendu plus conformiste par les équipes du chef pâtissier. Notons ici que cette bûche a le mérite de ne pas être simplement moulée, mais qu’il y a un travail de pochage à la main qui lui donne sa forme. La parcimonie du sucre et la légèreté des textures en bouche est surprenante aussi, on a l’impression de pouvoir manger toute la bûche sans coup férir. Au niveau des saveurs, je lui reproche un parfum de mangue trop faible malgré un volume considérable qui lui est accordé. Elle arrive à être noyée par la noix de coco, et elle manque d’acidité à mon avis. En revanche, les amoureux de noix de coco retrouveront bien cette saveur de façon élégante et marquée en différentes textures, avec notamment la bonne trouvaille de cette guimauve lâche qui mime la neige recouvrant la bûche. Il y a des déséquilibres selon les morceaux du bonhomme, avec un croustillant coco à l’épaisseur très variable. Je ne peux pas dire que je retrouve tout à fait la promesse faite par les visuels de l’enseigne, ce qui me laisse une impression de ne pas avoir goûté à l’intention originelle du chef pâtissier, mais au résultat retranscrit par ses équipes. J’aimerais que cette création assume sans vergogne les questions qu’elle pose. Des procédures plus verrouillées me semblent indiquées en production. L’ensemble demeure honnête et amusant, il ne manquera pas d’égayer un réveillon et de vivifier la conversation.
Note : 7,4/10
Adresse :
Cédric Grolet Opéra
35 avenue de l’Opéra, 75002 Paris
www.cedric-grolet.com
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